GNU/Linux pour le traducteur
Partie 1 : traduire sous Linux, puis quoi encore ?
Pour ce premier article de blog, j'ai choisi de parler d'une passion plus que d'une méthode de travail, même si les deux ont fini par se conjuguer. C'est pourquoi je vais commencer par un (tout petit) peu d'autobiographie.
Voilà deux ans que j'utilise une distribution GNU/Linux sur l'ordinateur personnel qui me sert également d'outil de travail. Une lassitude extrême vis-à-vis de Windows m'avait conduit à installer une instance de Fedora 37 en parallèle de mon installation principale sous Windows. Je ne suis pas sûr d'avoir ouvert une session Windows dans les mois qui ont suivi tant la transition vers GNU/Linux a été simple et intuitive. Une réinstallation de mon système a été l'occasion de supprimer toute trace de Windows pour ne plus utiliser que Fedora (dans sa version 38 cette fois-ci).
Aujourd'hui, je souhaite partager le résultat de mes nombreux tâtonnements à la recherche d'une informatique libre compatible avec l'exercice d'une profession indépendante. Allons-y !
Un point de terminologie
Je fais appel ici à deux notions importantes et susceptibles d'être inconnues des curieux et des curieuses lancés dans la lecture de cet article. GNU/Linux d'abord : pourquoi cette appellation plutôt qu'un simple « Linux » ? Cette convention de notation puise ses racines dans l'histoire des projets distincts GNU (un système d'exploitation) et Linux (un noyau), assemblés par la suite pour former un système libre complet et fonctionnel. Elle est privilégiée par la Free Software Foundation, principale organisation de promotion du logiciel libre et de protection des utilisateurs internet, c'est pourquoi j'ai choisi de l'employer.
La notion de « logiciel libre » désigne des logiciels que les utilisateurs sont libres d'exécuter, de copier, de distribuer, d'étudier, de modifier et d'améliorer (FSF). Sur le principe, la philosophie libre est très différente de celle de l'open source : là où le libre se pense comme un mouvement de société, l'open source n'est qu'une méthode de développement de logiciels pensée en termes de pragmatisme et d'efficacité. Si, dans les faits, les deux dénominations couvrent presque le même ensemble de logiciels, j'emploierai ici la dénomination libre. Le site de la FSF regorge d'excellents articles à ce sujet.

Changer d'OS, ça veut dire quoi ?
GNU/Linux est un système d'exploitation, très souvent abrégé OS (pour Operating System) dans le monde très anglophone de l'informatique. Le système d'exploitation d'un ordinateur est chargé d'exécuter les programmes, de gérer les ressources matérielles de l'appareil et de fournir une interface utilisateur. Les plus utilisés dans le monde sont Windows, produit par Microsoft (75 % d'utilisateurs), OS X, produit par Apple (15 %) et GNU/Linux (4 % sur l'ensemble de ses distributions). Parmi ces derniers, GNU/Linux enregistre de loin la meilleure croissance : +33 % sur un an. D'après les statistiques de la plateforme Steam, qui a pris le soin d'exclure les utilisateurs de son propre OS basé sur GNU/Linux, les joueurs seraient deux fois plus nombreux qu'il y a deux ans à utiliser GNU/Linux.
Lorsque vous achetez un ordinateur, celui-ci est généralement livré avec Windows pré-installé sur son disque. De plus en plus d'ordinateurs neufs, particulièrement issus des gammes professionnelles, sont toutefois livrés sans système d'exploitation pré-installés. Changer d'OS consiste à formater le disque principal (ou l'une de ses partitions) pour y installer un autre système d'exploitation à l'aide d'un périphérique de stockage externe (une clé USB par exemple). Cette procédure, simple et rapide pourvu que l'on suive un bon tutoriel, est valable aussi bien pour installer Windows que toute distribution de GNU/Linux.

Puisque le système d'exploitation sert à exécuter l'ensemble des logiciels, c'est sur ce plan-là que se situe la principale différence entre Windows et GNU/Linux pour l'utilisateur. Pour fonctionner, l'immense majorité des logiciels actuels reposent sur des bibliothèques, des extraits de code déjà rédigés et partagés entre les logiciels. Nombre d'entre elles ne sont conçues que pour Windows et leur code est dit propriétaire, c'est-à-dire que nul ne peut le modifier pour les rendre compatibles avec GNU/Linux. Les logiciels disponibles sous GNU/Linux se limitent donc aux (rares) logiciels propriétaires que leurs éditeurs ont choisi de porter sous GNU/Linux et aux logiciels libres qui de par leur licence ont pu être modifiés légalement pour être adaptés aux bibliothèques libres disponibles sous GNU/Linux.

Cette incompatibilité avec de nombreux logiciels qui fait la fierté des partisans de l'informatique libre n'en reste pas moins une difficulté majeure pour quiconque souhaite utiliser GNU/Linux pour son outil de travail. Rien de rhédibitoire toutefois : les solutions viables dans un contexte professionnel sont nombreuses. Logiciels libres, formats d'échange, solutions web, virtualisation : je passerai en revue les différentes approches dans le second article de cette série !
Et qu'est-ce que j'y gagne ?
Les avantages de GNU/Linux sont nombreux. Je me concentrerai ici sur les avantages liés directement aux professions du langage, plus susceptibles d'intéresser les lecteurs et les lectrices de ce billet. La philosophie de l'informatique libre elle-même fera peut-être l'objet d'un futur billet de blog. Parmi ces avantages sans conséquence immédiate au plan professionnel, on compte par exemple l'absence de télémétrie. Contrairement à Windows, la majorité des distributions GNU/Linux ne transmettent pas de données d'utilisation aux entités qui les produisent. N'importe quelle distribution GNU/Linux est ainsi plus respectueuse de la vie privée que les systèmes d'Apple et de Microsoft.
Légèreté
La conception du noyau Linux permet une gestion particulièrement efficace des ressources matérielles (mémoire vive, utilisation du processeur et des disques). Le système est d'autant plus rapide que la mémoire vive non-utilisée par un processus est mise en tampon pour accélérer les performances du système (tout en restant mobilisable immédiatement).
La mémoire vive est particulièrement importante pour les traducteurs et les traductrices, qui peuvent avoir à naviguer entre plusieurs dizaines d'onglets internet par exemple. Sur des machines aux ressources limitées, GNU/Linux accomplit des miracles : pourvu qu'il soit doté d'un processeur à plusieurs cœurs, d'un SSD et de 8 gigaoctets de mémoire vive, un PC portable âgé de six à huit ans peut devenir une très bonne machine professionnelle.

Gratuité
Le modèle économique des systèmes d'exploitation libres est aux antipodes de celui des acteurs privés de l'informatique. L'immense majorité des distributions GNU/Linux sont gratuites pour l'ensemble de leurs fonctionnalités. Il en va de même pour la plupart des logiciels libres que vous serez amenés à utiliser. Les logiciels sont développés et mis à jour par des bénévoles. Certains acceptent toutefois les dons des utilisateurs. La gratuité de l'ensemble des logiciels peut avoir un impact positif considérable sur l'équilibre financier d'une entreprise indépendante de traduction.
Sécurité
GNU/Linux se distingue également de Windows par sa sécurité. L'OS de Microsoft, avec ses trois quarts du marché, est la cible de 83 % des attaques informatiques. Les cyberattaques n'étant pas multi-plateformes (pour les mêmes raisons que les logiciels), GNU/Linux est considéré comme très sûr.
Le modèle de l'informatique libre qui permet à tout un chacun d'inspecter le code d'un logiciel garantit la sécurité des utilisateurs, là où chaque logiciel propriétaire est une boîte noire suscpetible d'infecter le système. Tous les logiciels contenus dans les dépôts des différentes distributions étant vérifiés régulièrement, les utilisateurs de GNU/Linux se passent généralement d'antivirus. Ceci contribue à la rapidité des systèmes avec peu de ressources.
Enfin, les distributions GNU/Linux proposent toutes le chiffrement des données à l'installation et l'encouragent. Un disque dur chiffré permet d'éviter toute fuite de données personnelles, de clients par exemple, en cas d'attaque informatique ou de vol de matériel. Il s'agit d'un réflexe de sécurité que toues les indépendants et indépendantes devraient adopter pour se conformer au RGPD.
Fiabilité
GNU/Linux se distingue également des systèmes d'exploitation propriétaires par sa fiabilité. Je n'ai jamais essayé OS X, mais j'ai eu droit à suffisamment de pannes et de blue screens of death sous Windows pour affirmer que mon expérience avec GNU/Linux a été beaucoup plus stable et fiable. Je n'ai pas encore parlé des différences entre les distributions GNU/Linux, auxquelles je consacrerai une partie du prochain article. La stabilité en est une. Certaines distributions reçoivent des mises à jour espacées de deux ans, noyau y compris. GNU/Linux équipe 30 % des serveurs dans le monde, dont des infrastructures critiques. Les utilisteurs du quotidien bénéficient également de cette excellente fiabilité.
Si toutefois vous rencontrez un problème, vous découvrirez une autre force de GNU/Linux : sa communauté d'utilisateurs. Conçu par et pour eux, le système implique également ses utilisateurs dans le dépannage et l'assistance. Il existe de très nombreux forums sur lesquels vous pourrez poser toutes vos questions. Vous pouvez par exemple me contacter aux coordonnées disponibles sur ce site et je me ferai un plaisir de vous aider !
Linux et ses idées reçues
La seconde partie de cet article portera sur l'utilisation concrète de GNU/Linux et des logiciels libres dans un contexte professionnel. J'ai tout de même choisi de parler de quelques idées reçues sur GNU/Linux et de montrer en quoi il s'agit, précisément, d'idées reçues.
Linux est destiné aux programmeurs
Chez les usagers, la ligne de commande est un épouvantail. GNU/Linux a effectivement plus tendance à reposer sur son terminal (ou invite de commandes) que Windows. Cette tendance donne à GNU/Linux son image de système d'exploitation destiné aux programmeurs. Il n'en est rien, et des millions de personnes utilisent GNU/Linux chaque jour sans avoir la moindre base en programmation.

Android, le système d'exploitation qui équipe 45 % des mobiles dans le monde, est fondé sur le noyau Linux et dispose pourtant d'une interface graphique extrêmement intuitive. Il en va de même pour de nombreuses distributions de bureau : il est tout à fait possible d'utiliser GNU/Linux chaque jour y compris dans son métier sans ouvrir une invite de commandes, en passant seulement par des interfaces graphiques.
Il faut des années pour prendre ses marques
Cette section sera l'occasion de présenter la notion d'environnement de bureau, sur laquelle je reviendrai également dans un prochain article. GNU/Linux peut s'adapter à toutes les ergonomies et à tous les flux de travail grâce à la diversité de ses environnements de bureau. Ces derniers sont un ensemble de programmes qui remplissent les fonctionnalités de base de l'ordinateur et lui donnent son interface graphique. Sous Windows, celui-ci est intégéré à l'OS, sous GNU/Linux, il est laissé à la discrétion de l'utilisateur.
Certains environnements de bureau ont été conçus pour être simples et intuitifs à prendre en main. C'est le cas, par exemple, de KDE et Cinnamon, deux environnements de bureau qui comme Windows reposent sur une barre des tâches, des icônes et un menu Démarrer.


Les raccourcis ont également leur importance dans la prise en main et la maîtrise d'un OS. Ces derniers sont évidemment paramétrables pour s'adapter aux besoins de l'utilisateur.
La traduction pour GNU/Linux
J'ai choisi de conclure ce billet par une prouesse dialectique : en parlant de la place de la traduction dans l'informatique libre. Le monde du libre repose sur ses bénévoles, en matière de programmation bien sûr mais également en matière de traduction. Avoir la traduction pour activité professionnelle n'est pas requis pour travailler sur les projets de traduction bénévole, toutefois, les traductions ne pourront que bénéficier d'un œil expert.
La gratuité de nombreux utilitaires, logiciels et distribution repose sur l'aide des passionnés. Les types de projets sont très variés, alors si vous aimez la traduction informatique, n'hésitez pas à faire un tour sur l'une des pages suivantes : Projet de traduction Debian, Projet de traduction de Fedora, L10n LibreOffice. L'association Traduc.org regroupe les projets de traduction en français des logiciels libres.
C'est tout pour ce billet ! J'espère sincèrement que cette présentation l'informatique libre a éveillé votre intérêt et vous a appris des choses. Cette approche plutôt abstraite précède un second billet qui portera sur l'installation, la configuration et l'utilisation d'un flux de travail de traduction reposant sur des logiciels libres ou sur des solutions propriétaires émulées sur un système d'exploitation libre.
À très vite !
Antoine